jeudi 16 avril 2015

dimanche matin I & II

I

Il y a bien beau être uneheuredel'aprèsmidi tu dors encore les yeux fermés, la bouche ouverte. Tu aurais l'air ben cute si c'était pas de ton haleine matinale de lendemain de veille qui a fini trop croche pour même entrevoir la possibilité d'un brossage de dent parce que c'est un autre genre de brosse que t'as vu de proche hier soir. Je te flatte les cheveux, même le cou, en te disant de te lever, que j'ai fait du café, qu'il fa-beau-dehors-regarde-dont-ça mais j'reçois seulement un grognement pis un p'tit mouvement de ta part en guise de réponse. C'est pas la première fois que tu me fais ce coup là mais je badtrippe autant que toi à chaque fois même si c'est pas pour les mêmes raisons, que moi c'est pas parce que j'ai abusédesbonneschosesdelavie.

Une suite (il)logique de hâtes et de déceptions qui me ramène un peu plus bas à chaque fois. J'étais avertie dès l'début donc je suppose que je dois être borderline masochiste ou bedon un peu trop naïve par moment.

Chaque matin, je me dis que ça y est c'est le dernier matin arrange toé dont tout seul, mais je peux pas m'empêcher de rire en me croisant dans le miroir parce que j'suis pas convaincante pour deux cennes. Même Bouddha le chat a l'air de ricaner dans son coin.

Il y a une coupe de bout de papier et de factures tellement-vieilles-qu'on-sait-pas-c'est-quoi-qu'on-a-acheté partout à terre de mon bord de lit avec écrit dessus la même liste de pour-et-contre-rester-avec-toi mais ça ressemble pas à grand-chose parce que j'me trouve chienne de pas trouver de pour en remplissant recto-verso mon papier dans la colonne des contre. J'étire ça de plus en plus en naïvement gardant espoir que tu finisses par te réveiller.

T'es le vide digne de l’antarctique de mon ventre. Le froid incommensurable de mon 5 pied 2 ben flush. J'ai l'impression que t'aimer c'est comme un jeu de hasard à toujours attendre d'être assez chanceuse pour gagner un peu de toi.

Je sais pas si c'est ton absence ou mon abondance d'amour de jeferaisnimportequoipourtoi qui fait que c'est vide comme ça dans mon ventre. Même tes ronflements qui résonnent dans le silence nocturne me font sentir toute seule. Tu prends toute la place autant dans mon lit que dans ma vie pis même le tictac gossant de ton horloge en bois a pas réussi à m'endormir hier soir.

Je sais pas non plus si c'est que t'engloutis un peu de ton amour à chaque gorgée de bière ou si t'es juste meilleur menteur à jeun, mais chaque nuit devient de plus en plus froide même en pleine canicule.

Tu parles au passé tandis que c'est l'indicatif présent que j'emprunte pour te cracher tout le noir que j'ai en dedans. C'est pas comme si on venait pas de la même époque mais juste pas du même espace-temps où que tout se superpose et s'entrecroise. Amoncèlement de petits bouts de toi pis moi. T'as la tête trop remplie des livres jaunis que t'achètes à L'Échange sur le Plateau, ton André Breton pis toute sa bande, on dirait que t'essaye de faire de ta vie une adaptation théâtrale des Paradis Artificiels de Beaudelaire. Je voyais une certaine romance dans ta nostalgie des années 50 de l'autre bord des frontières, mais cette romance-là s'est peu à peu estompée au fur et à mesure que j'ai réalisé c'est pas la société que tu fuyais mais bien toi-même à coup de bière cheap et de track vites faites sur le comptoir de salles de bain encore plus miteuses que le bar lui-même.

T'as ben beau dire fuck the system fuck toute avec ton carré rouge qui traine dans l'fond de ton sac mais toute la poussière accumulée sur les touches de ton dactylo (parce que t'es quand même pas pour utiliser un ordinateur) témoigne juste des innombrables soirées que t'as passé assis là, à fixer le vide, à chercher quelque morceau poétique qui pourrait ben être caché quelque part dans ta vie, avec le même vinyle de Miles Davis qui joue en boucle heure après heure.


II

J'pense que c'est toi-même que t'as le plus surpris en partant, mais c'était quand même pas à bord d'une Tercel sur la Transcadienne que je t'imaginais disparaître. Faut dire que ton poster des Rocheuses avait pas mal jauni depuis le temps pis que tu vivais plus à la horizontale qu'autre chose.

J'hallucine ta face en dessous de chaque casquette pâle que je croise en finissant toujours avec un mélange de déception et de honte pogné dans le fond de la gorge, mais j'me console en mettant ça sur le dos de mes deux yeux trop myopes pour qu'on leur fasse confiance. Je m’ennuie de ce qu'on a été et de ce qu'on aurait pu devenir, du souvenir de hier, de l'espoir de demain, même si finalement j'ai peut-être trop espéré pour pas grand chose.

Les prémices printanières font leur apparition comme chaque année, mais c'est toute seule maintenant que j'me lève pour aller écouter les fleurs pousser pis les bernaches arriver au parc Lafontaine. C'est pas mal la seule chose qui t'émeut, les bernaches, même si t'essayais de cacher ça derrière tes airs de frustrécontretoute en disant qu'y'étaient connes, les bernarches, qui ''sont devant toé les bouttes de pain ciboire!''. Au fond tu leur enviais juste la liberté que t'osais pas t'accorder.

À la longue, j'ai fini par m'habituer, j'dirais même à oublier un peu, oublier un peu de toi, par p'tits bouts, mais j'te cacherai pas qu'une fois de temps en temps, n'importe quand, ces p'tits bouts là refont surface, ton odeur ou tes mots ou ta bouche qui goûte la bière cheap pis l'tabac froid ou desfois juste même la température de ton corps. J'suppose que mon corps à moi a une meilleure mémoire que ma tête parce que ça arrive ben gros que je doute de ce passé là à nous, de ce passé là éclair éclipse paslàlongtemps.

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